La météo de cette Pentecôte était idéale pour faire de la spéléo-kayak dans les multiples grottes au Sud de Morgat et profiter des eaux transparentes dans lesquelles baignent les impressionnantes falaises de l’Est de la Presqu’île de Crozon.
Parés à la cale du Kador à l’heure de la messe pour une procession de l’Antre du Diable à la Pointe du Dolmen, les 10 adeptes du CCKQC se sont attirés les faveurs des dieux païens des éléments, de Toutatis à Cernunnos, de Neptune à Eole : un grand ciel bleu, de la chaleur mais une légère brise intermittente, une baie de Douarnenez muée en lac, un petit coefficient.
Quasiment vierges de toute construction, ces falaises frôlent souvent avec la cote des 100 mètres. Les pins, bruyères et ajoncs couvrent l’espace laissé par les reliefs du grès armoricain, modelé en imposants blocs, en subtiles compositions de formes, en d’étonnants équilibres.
L’érosion y a creusé de très nombreuses cavités que les kayakistes sont les plus à même de visiter. Nous cabotons ainsi de l’une à l’autre, sans pouvoir les décompter, en un ballet de manoeuvres, un par un, rarement à plusieurs… Nous avons l’impression de n’avoir jamais autant pagayé en marche arrière (puisque tout kayakiste le sait, on entre dans les anfractuosités face à la mer, pour mieux se dégager en cas de vagues intempestives, et par ex. celles traîtreusement créées par les sillages).
Dans la fraîcheur bienvenue de ces grottes, nous attend un kaléidoscope de formes, couleurs et sons : tantôt vertes, rouges, jaunes, voire bleues, des grottes à gouffre, à chambre intérieure, à double couloir, à plage de galet ou de sable, à pluie, à ressac stéréo, à linteau bas, à caillou central, avec de la place pour cinq ou plus étroite qu’une pagaie…
Avec toutes ces allées et venues dans les creux, certains commencent à en sentir un… Nous nous posons alors sur les galets, plutôt à l’ombre, au Nord de la presqu’île dite de la vierge. Nous y observons le panache de fumée de l’incendie de Botmeur au loin, et, plus près de nous, une jupe qui flotte, suivie d’un kayak…
Répondant à cet appel à reprendre notre route, nous contournons la pointe de Saint Hernot, arrivant avec l’étale du flot à passer entre les trois arches de la grotte qui jouxte la plage de cet endroit paradisiaque mais, contrairement à d’autres grèves du lieu, accessible à pied.
Un groupe d’une vingtaine de kayakistes s’y est posé. Il faut dire qu’il y avait un peu de monde sur ces eaux, surtout dans l’après-midi : une bonne vingtaine de bateaux aux différents mouillages, le passage des vedettes de touristes et bon nombre de kayaks ouverts loués à Morgat (pour la plupart avec le respect des consignes de sécu qu’on imagine).
Longeant criques et pointes, nous poussons jusqu’à une petite cascade rafraîchissante proche de la Pointe du Dolmen. En pagayant uniquement vers l’avant et un peu plus en ligne droite, nous retournons alors vers Morgat. A la cale du Kador à 16h, le dernier arrivé s’en voit repoussé et… bizuté d’une épreuve d’esquimautage. L’eau commence à tiédir, paraît-il…
Pour éclairer nos gouvernes :
- Rien que pour le plaisir, l’étymologie de kaléidoscope : du grec kalos, beau et eidos, aspect.
- Quelques « anecdotes » historiques : la pointe du Kador (chaise) possédait une arche qui ne s’est écroulée que récemment, par une nuit d’avril 1983 ; une grotte dite des Normands tient son nom du refuge que s’y octroyèrent les Vikings lorsqu’ils débarquèrent à Crozon en 914 ; en septembre 1944, la population se réfugia aussi dans les grottes pendant les bombardements continus des alliés pour libérer le port (un mois de combats) [MF Bonneau].
- Le cours magistral de géologie :
« A l’ère primaire (ordovicien inférieur) [490-470 millions d’années, c’est l’époque du Gondwana, le niveau de la mer y était très élevé], se sont déposées ici des couches de sables en bordure d’un rivage sur une épaisseur très importantes (plusieurs centaines de mètres). A cette époque, les couches étaient horizontales. Ces sables ont été recouverts par plusieurs milliers de mètres [ ?] d’autres sédiments (argiles, galets…).
A partir de l’ère carbonifère [355-295 Ma], une très puissante orogenèse plisse et redresse la masse des sédiments entassés [surrection du massif armoricain]. Ces mouvements, la pression des sédiments, la température en profondeur et les millions d’années ont consolidé ces couches de sables et les ont transformés en grès très compacts et en quartzites.
La disposition initiale en strates est conservée mais ces événements géologiques ont induit dans la masse rocheuse une schistosité peu marquée suivant un plan d’orientation différente de la stratification [vous suivez ?].
Avec consolidation, ces grès sont soulevés par les mouvements de la terre et il se forme des failles, ici de direction NW-SE.
Aujourd’hui à l’air libre, sous l’action de l’érosion et de la décompression, ces couches de grès sont cassées et se débitent en blocs de taille décimétrique à métrique.
(…) A la faveur d’une zone plus fragile dans la falaise ou au contact de deux terrains de dureté différente [ou d’une faille], la mer commence à creuser des cavités, ensuite les blocs roulés qui forment la « plage » de la grotte sont projetés contre les parois. Leur mouvement incessant (à l’échelle des temps géologiques) use et éclate les parois. Il est accentué par l’air comprimé au fond de la grotte par les vagues » [BRGM].
- Les couleurs des intérieurs des grottes proviennent de lichens et d’algues microscopiques qui colonisent les endroits où l’érosion marine n’est plus active.
- Cernunnos est le dieu-cerf de la mythologie celte, lié par certaines sources au monde souterrain.
Sources :
- Larousse
- MF Bonneau, Voyages dans les grottes marines de la presqu’île de Crozon, Keltia Graphic (Disponible à la médiathèque des Ursulines dès que je l’aurais rendu).
- Landry et Pasquet, Expertise des conditions locales et générales de stabilité des grottes marines de Morgat, mars 1989. BRGM.
Texte : Loïc Bertho (et relecture attentive de Fabienne Hamard)
Photos : Fabienne Hamard & Sophie Le Seac’h